En France, dans l’opinion publique, la consanguinité est une sorte de larve malfaisante, une chose qui corrompt les meilleures natures et que l’on pourchasse en épluchant les pedigrees.
Pour échapper à ce danger rampant, les éleveurs se préoccupent de trouver à leur chiennes des partenaires partout, sauf dans leurs propres souches, et cela en espérant, par on ne sait quel miracle, « reproduire l’ancêtre », dont ils estiment qu’il est le modèle de la race.
En somme, il faudrait que, lorsque l’on a un chien ou une chienne « idéale » ou tendant vers l’idéale, le partenaire soit une sorte de photocopieuse qui n’intervient pas dans la qualité de la descendance. L’erreur, c’est que le ou les bébés tirent toujours la moitié de leurs gènes (ou plus exactement leurs allèles) de papa et l’autre de maman. Ils ont peut-être tort, lorsqu’un géniteur est beau et l’autre moche, mais que voulez-vous, l’hérédité « marche » ainsi …
LA PANMIXIE ET LA CONSANGUINITE ETROITE.
La « panmixie » (ce qui veut dire : on mélange tout ), c’est le système en vigueur chez les huîtres : on ouvre les coquilles, on laisse les gamètes mâles et les gamètes femelles s’en aller au fil de courants, et ça donne ce que çà donne (une huître tout de même!).
La consanguinité maximum, c’est le système des petits pois dont la hautaine devise : « on n’est jamais si bien fécondé que par soit même ». Aucune fantaisie : bébé petit pois est forcément le portrait tout craché du vénérable petit pois qui fut à la fois son grand-pére et sa grand mère, lequel aïeul était aussi le portrait fidèle de …
Nous autres, être sexués, ne pouvons pas pousser la consanguinité à de tels sommets. Si, par exemple, une chienne est saillie par son pére, le ou les bébés auront tiré la moitié de leurs alléles de papa, l’autre de maman, qui avait tiré ses alléles de papa pour la moitié également, l’autre moitié venant d’une «étrangère » ; mais si cette étrangère avait un certain degré de consanguinité avec son époux, le degré final de consanguinité est augmenté jusqu’à tendre vers 1 dans le cas d’une longue lignée très consanguine.
Car « consanguinité » signifie en toute rigueur que deux individus ont au moins un même gène au même endroit du même chromosome. Mais comme il y a des dizaines de miliers de gènes qui s’expriment dans l’hérédité, tous les Français par exemple sont largement consanguins. Donc, lorsqu’on dit « consanguins » , on veut seulement dire « plus apparentés que la moyenne de la population à laquelle ils appartiennent ».
QUEL EST LE MODE D’ACTION DE LA CONSANGUINITE ?
La consanguinité augmente la proportion de gènes (ou plus exactement d’allèles) identiques au même emplacement (locus) d’un même chromosome. Ce qu’on traduit en disant qu’elle permet une augmentation du pourcentage de gènes homozygotes (deux allèles qui « disent pareil ») et une diminution de gènes hétérozygotes (deux allèles « d’avis différent »).
Or, un caractère génétique (une couleur, un groupe sanguin, un détail morphologique) n’est fixé que lorsque l’individu est homozygote vis à vis du caractère considéré. Quand ce caractère est dépendant d’un gène hétérozygote, l’un des deux allèles, le dominant, détermine le résultat sur l’individu. L’autre « le dominé » (on l’appelle le récessif) se contente de rouspéter sur son locus, dans son « p’tit coin d’chromosome », mais il attend l’occasion (la rencontre dans la descendance d’un récessif de son espèce) pour s’exprimer et de faire alors apparaître un caractère jusqu’alors impossible à voir arriver. Donc, si l’on accouple un chien, même homozygote pour un certain nombre de gènes, avec une chienne, même homozygote pour un certain nombre de gènes (mais pas forcément les mêmes), on n’a aucune raison d’obtenir des chiots analogues au père, ou analogues à la mère, ou même à une sorte de moyenne arithmétique entre les deux, on obtiendra n’importe quoi.
« Dans le tas », on pourra du reste « sortir » un individu remarquable sur le plan de l’apparence (phénotype), d’autant que se manifeste souvent le phénoméne de superdominance qui fait que l’hétérozygote peut être supérieur à chacun des deux homozygotes parents. C’est le principe des élevages de poulets ou de dindes, qu’on mange mais qu’on se garde bien de faire reproduire. L’éleveur croira « avoir gagné » avec son « champion » mais la descendance du champion accidentel le refroidira vite…
Donc, pour fixer un type, le seul procédé est l’utilisation d’une consanguinité suffisamment étroite.
LA CONSANGUINITE EST-ELLE SANS INCONVENIENTS ?
Certainement non. D’abord, elle met en évidence aussi bien les défauts que les qualités. Elle est donc inséparable de l’idée de sélection et d’élimination. Les Anglais, qui sont de très bon éleveurs, travaillent en consanguinité en se débarrassant des sujets apparus du mauvais côté du tri génétique en les envoyant (N.D.L.R quelquefois) dans les terres d’asile dont la France est l’une des plus réputées.
La détestable réputation de la consanguinité est en grande partie due à cette nécessaire élimination des « tarés ». Chez l’homme, espèce où l’on élimine pas les inaptes ou les inesthétiques, il faut effectivement se méfier.
Ensuite, elle n’est recommandable qu’à condition de partir de bons géniteurs de base. Si l’on travaille en consanguinité avec des géniteurs moches, on peut s’attendre à un pourcentage d’élimination tel que mieux vaut encore une joyeuse panmixie.
Enfin, la diminution du pourcentage de gènes hétérozygotes peut diminuer les élements de défense de l’organisme en cas d’agression, c’est à dire peut diminuer ce que l’on appelle, en gros, la robustesse. C’est donc une chose à surveiller dans le cas de longues lignées très consanguines qui seraient devenues très fixées parce qu’à haut pourcentage d’homozygotes…
En France, le cas doit être vraiment rare !
LA RETREMPE
L’éleveur peut faire appel à la retrempe, c’est à dire à l’introduction dans ses lignées consanguines d’une souche plus ou moins éloignée. Cette retrempe peut être nécessaire ou utile.
Nécessaire dans le cas où la qualité de l’élevage n’est plus satisfaisante, en comparaison des élevages concurrents. Dans ce cas, mieux vaut aller chercher une souche éloignée… Cela fera un brassage de gènes aux résultats incertains, mais au point où l’on en est…
Utile dans le cas où la qualité reste correcte mais plafonne. Il manque des caractèristiques que l’on voudrait bien avoir, mais qui n’ont pas l’air de vouloir apparaître dans les lignées de l’élevage ou inversement, on n’arrive pas à se débarrasser de tel défaut. Dans ce cas, il faut se contenter, sous peine de risquer l’annulation de tous les efforts précédents, d’aller chercher une souche proche den consanguinité et possédant la qualité ou ne possédant pas le défaut.
CONCLUSION
La consanguinité est le seul moyen de fixer un type et de le conserver quand on le tient. Mais elle exige un bon choix des géniteurs de départ, une suveillance attentive de la qualité et l’élimination (retrait) de la reproduction d’une partie des descendants qui n’auront pas eu de chance au loto génétique.
L’autre solution, la panmixie (de très loin la plus employée en France) ne peut conduire qu’à des types mal fixés, à des résultats aléatoires d’un individu à l’autre, et en fait, à la négation même de l’idée d’élevage.
Gilbert COLAS.
Société Française de Cynotechnie.